Jean-François Jaussaud - « Photographies de Louise Bourgeois, 1995-2006 »

Jean-François Jaussaud - « Photographies de Louise Bourgeois, 1995-2006 »

5 place du Palais Bourbon Paris, 75007, France Friday, October 16, 2015–Saturday, October 31, 2015

Prolongation jusqu’au 31 octobre 2015

« Photographies de Louise Bourgeois, 1995-2006 »

Elizabeth Royer–Grimblat présente dans sa galerie les photographies de Louise Bourgeois par Jean-François Jaussaud. Ces images racontent une rencontre exceptionnelle entre le photographe et la grande artiste. Cette dernière lui a laissé champ libre pendant 11 ans, de 1995 à 2006, pour aller et venir à sa guise et la photographier dans son atelier et sa maison de New- York. Une sélection de 25 clichés seront donc exposés pour la première fois à l’occasion de l’ouverture au public de sa maison cet automne.

« Histoire de ma rencontre avec Louise Bourgeois »
Louise, c’est une rencontre l’hiver 1994, d’abord un rendez-vous dans son bureau de l’atelier de Brooklyn, une ancienne usine de confection au 475 Dean Street. Un « interrogatoire » un peu étrange et amusant, une sorte de questionnaire presque administratif, date de naissance, adresse, coordonnées … Elle notait tout méticuleusement dans un petit cahier…
Très vite elle s’aperçut que je vivais près de Choisy-le-Roi, la ville où elle avait passé une partie de son enfance, elle prit alors un grand plaisir à me faire parler de la ville. Elle me demanda d’aller voir le lieu où était sa maison à l’époque et de lui raconter lors de notre prochaine rencontre.
Elle me donna rendez-vous en avril 1995 pour notre première séance photo.
Une condition : je veux voir toutes les photos et si elles ne me plaisent pas je détruis !
Avril 1995, j’arrive au studio de Brooklyn, j’avais embauché un assistant américain pour me donner un coup de main car je transportais du matériel d’éclairage (le studio était morcelé en espaces baignés d’une superbe lumière naturelle et d’autres étaient juste éclairés de simples ampoules électriques)
Mon assistant s’appelait Robert Miller, je le présente, cela fit beaucoup rire Louise, c’était aussi le nom de son galeriste !
Louise s’était préparée, spécialement habillée pour son portrait, elle était très soignée et coquette, pas du tout la tenue qu’elle portait habituellement pour travailler au studio.
Elle portait plutôt des superpositions de vêtements usés, souvent recouverts d’une blouse bleue ou grise.
Première photo, je suis prêt, j’ai choisi cette sculpture « Eyes » deux grosses boules de granit qui font plutôt penser à des seins. La sculpture trône au milieu du studio, Louise est très joyeuse, elle se place face à la caméra, quelques mots, elle se tourne brusquement, se cache le visage, prise d’une rage soudaine, me dit que ce n’est pas acceptable, je l’agresse, « vole son image », elle part se réfugier dans son bureau…
Stupeur, je pense que tout est fini, je n’ai qu’à remballer mon matériel et rentrer à Paris.
Quelques minutes passent, Louise revient, grand sourire, elle enfonce une casquette blanche sur sa tête, se place face à moi les deux mains sur les blocs de granit : « C’est bon, maintenant tu peux y aller, je suis protégée ».
Deux jours fantastiques dans l’atelier, je suis complètement libre, j’observe, je m’imbibe, je respire le lieu. Louise vient me voir de temps en temps ou bien c’est moi qui la demande pour un nouveau portrait, elle travaille, reçoit, je ne sens que de la joie.
Deux jours plus tard, rendez-vous à la petite maison de Chelsea, 347W 20th Street, j’ai promis de tout lui montrer. Planches contact N&B, diapositives couleur, j’étale tout sur sa table, elle regarde attentivement, sourit... « C’est bon, tu peux revenir quand tu veux ».
Onze années, jusqu’en février 2006, je suis revenu de temps en temps la visiter. Quand j’étais de passage à New York et que c’était possible. Je l’appelais à l’improviste le matin avant 9H pour être sûr que ce serait elle qui répondrait. « Bonjour Jean-François, c’est vous le photographe français de Choisy ? Venez aujourd’hui, je vous attends ».
9H30-10H, son assistant Jerry m’ouvre, j’entre, porte fermée... je suis chez Louise, sa cellule, son théâtre, la maison me happe, je me laisse transporter.
Chaque pièce est une scène de bataille, travail, laboratoire, souvenir...
La maison m’observe, j’enregistre son regard.
Louise m’a toujours laissé totalement libre d’aller et venir, une entente tacite.
Je n’ai pas osé pousser les portes tout de suite, il m’a fallu quelques années, quelques visites et quelques discussions, pour explorer la totalité de la maison. Elle me raconta comment après la mort de son mari, l’historien Robert Goldwater en 1973, elle coupa en deux la table où ils dînaient tous les deux. C’est sur cette table qu’elle travaille, mange, reçoit ses hôtes, juste à côté du mur couvert d’affiches, de notes et de souvenir.
Une autre fois elle m’entraina dans une chambre dont la porte était toujours close. Parfaitement rangée, dessus de lit sans un pli, c’était leur chambre, elle l’avait désertée depuis la disparition de Robert Goldwater. Elle me demanda de faire son portrait là dans la chambre, puis me laissa seul.
Ma dernière visite. Février 2006, elle tenait salon tous les dimanche après-midi vers 15H depuis 30 ans, des réunions informelles, jeunes artistes, écrivains, collectionneurs ou amateurs de tous âges étaient présents. De jeunes artistes montraient leurs travaux et écoutaient ses critiques sans concession. Je travaillais alors au polaroid, images instantanées de suite révélées, les photos circulaient de mains en mains, Louise les regardait, les montrait. De très beaux moments de partage. Ce fut ma dernière rencontre avec Louise.
J’avais prévu de me rendre à New York au début du mois de Juin 2010, d’aller la saluer, elle est partie le lundi 31 mai.
Je la visite encore très souvent...

Jean-François Jaussaud