En choisissant d’exposer les gouaches sur papier réalisées par Sol LeWitt (1928-2007) dans les années 1980- 1990, la Galerie Brame & Lorenceau propose de faire parcourir une part plus secrète, mais emblématique, de l’œuvre de cet artiste. Internationalement reconnu pour ses Wall Drawings, Sol LeWitt, père de l’Art Conceptuel, se trouve à l’origine d’une véritable révolution dans l’art américain de la seconde moitié du XXe siècle. Pendant plus de cinquante ans, l’artiste, sans jamais renoncer à la primauté du concept, réinvente sans cesse son œuvre, multipliant les supports, des sculptures aux livres, en passant par les dessins muraux, gravures et autres œuvres sur papier. Après avoir étudié les Beaux-Arts à l’Université de Syracuse, il s’installe à New York en 1953 pour suivre l’enseignement de la Cartoonists and Illustrators School, aujourd’hui School of Visual Arts. De 1955 à 1956,
son expérience de graphiste au sein du cabinet de l’architecte I.M Pei s’avère cruciale et lui inspire le concept artistique qu’il élaborera dans la décennie suivante : l’idée prévaut toujours sur la réalisation. C’est en 1962 que Sol LeWitt réalise ses premières œuvres : des sculptures baptisées « Structures », adoptant comme module de base le carré et son pendant en volume, le cube, et développées selon des processus sériels. Les premiers jalons de l’Art Conceptuel sont alors posés. Il théorise sa pensée dans deux textes fondateurs, « Paragraphs on Conceptual Art » et « Sentences on Conceptual Art » publiés respectivement en 1967 et 1969. C’est ainsi qu’il lui paraît que « dans l’art conceptuel, l’idée ou le concept est l’aspect le plus important de l’œuvre. Lorsque l’artiste utilise une forme d’art conceptuelle, cela signi e que toute plani cation et les décisions s’effectuent à l’avance et que l’exécution est une formalité. L’idée devient une machine à fabriquer l’art ». Les Wall Drawings, qui voient le jour en 1968 à la Paula Cooper Gallery de New York, se font l’espace privilégié de la radicalisation de ces idées. Ces dessins muraux, exécutés par des praticiens suivant les instructions écrites par l’artiste, s’inscrivent durablement dans l’œuvre de Sol LeWitt, et comptent, désormais, près de 1300 modèles. Pouvant être détruits, redessinés, adaptés à des dimensions et lieux différents, les Wall Drawings révèlent la suprématie du concept, socle d’une diversité d’interprétations. Ceux-ci adoptent un langage plastique, composé de gures et de signes géométriques employés pour leur simplicité et leur objectivité : la ligne droite et courbe,
la grille, le cercle, le triangle, le rectangle, le parallélogramme, etc. Pour Sol LeWitt, ils apparaissent comme des formes inintéressantes en elles-mêmes et deviennent « la grammaire de l’œuvre totale », propices à la sérialité, fondée sur la variation et la transposition. Dans un premier temps, utilisant exclusivement le noir et le blanc, l’artiste introduit progressivement dans ses Wall Drawings, au cours des années 1970, les trois couleurs primaires : le rouge, le jaune et le bleu. Le tournant des années 1980 marque un changement radical dans la carrière de Sol LeWitt. Installé à partir de 1980 en Italie, à Spolète précisément, l’artiste ouvre sa production à de nouveaux champs de réflexion.
Sa palette chromatique évolue alors. Les couleurs secondaires – le vert, l’orange et le violet -, ainsi que le gris surgissent dans ses œuvres. Dès 1982, les formes géométriques jusqu’alors planes laissent place aux volumes dans les Wall Drawings. In uencé par les fresques des artistes du Trecento et Quattrocento tels Giotto ou Piero della Francesca, Sol LeWitt y introduit un système de perspective propre à ces artistes : la projection isométrique. Cherchant à restituer la forme, mais sans l’espace, Sol LeWitt décèle dans cette variante de la perspective axonométrique « le moyen de décrire un objet tridimensionnel en termes bidimensionnels – ce à quoi l’art de tous les temps n’a cessé de tendre ». A la même époque, Sol LeWitt accroît sa production d’œuvres sur papier en parallèle à la conception des Wall Drawings. Il adopte alors un nouveau médium, la gouache, dont la réalisation lui est strictement personnelle. Celle-ci favorise ses expérimentations par une plus grande rapidité d’exécution, et devient le support privilégié et quasiment exclusif pour ses œuvres sur papier pour le reste de sa carrière. Les œuvres des années 1980-1990, sujets de cette exposition, témoignent de plusieurs des grands thèmes plastiques qui occuperont l’artiste à la fois dans la conception de ses Wall Drawings et dans sa pratique individuelle. La série des « Pyramids » compte parmi les premières à présenter des volumes isométriques. Figurées tels des objets en suspension sur des fonds monochromes unis, les pyramides se constituent de multiples facettes dont le relief est induit par la juxtaposition de pans de couleurs aux tons sourds et lumineux. Ces teintes – ces bleus, rouges, noir, gris, jaune et vert –, dont l’aspect est proche de pigments naturels, attestent de l’in uence subtile des fresques de la Renaissance italienne qui ont tant fasciné Sol LeWitt. A la n des années 1980, cette série est suivie par les « Complex Forms », issus de l’éclatement des formes isométriques en prisme. Ces kaléidoscopes chatoyants, d’abord isolés dans un espace abstrait, prennent rapidement possession de l’intégralité de la surface picturale comme dans Complex form with colors superimposed de 1988 (n° 36-37 de cat.) et son pendant mural, le Wall Drawings #752 conservé au château d’Oiron. En n, les années 1990 marquent un retour à l’usage de la ligne, réminiscence des premiers dessins muraux des années 1960. Libéré de la géométrie, LeWitt adopte, avec les « Brushstrokes », une expression organique faite de bandes irrégulières, lets tourbillonnants, vagues ondulantes. L’artiste joue alors des effets de profondeur par la superposition de réseaux enchevêtrés de lignes aux couleurs primaires. A sa mort en 2007, Sol LeWitt nous laisse en héritage une œuvre d’un foisonnement absolu conservée dans les plus importantes institutions internationales, notamment le Musée national d’Art moderne – Centre Georges- Pompidou de Paris, l’Art Institute de Chicago, le MoMA ainsi que le Musée Solomon R. Guggenheim de New York.