En juillet 1902, le célèbre sculpteur Auguste Rodin visita
l’exposition “Beethoven” organisée dans le Palais de la Sécession.
Durant la réception qui suivit dans le parc du Prater, il confia à
Gustav Klimt: “ Je n’ai encore jamais rien ressenti de semblable à ce
que je ressens chez vous ici. Votre fresque Beethoven, si tragique et
si heureuse à la fois; votre exposition grandiose, inoubliable, et
maintenant ce jardin, ces femmes, cette musique...Qu’est-ce que cela
peut bienêtre?”. Klimt ne répondit qu‘un seul mot: “L‘Autriche !”.
Le second fils d’une famille de sept enfants, Gustav Klimt naît à
Baumgarten (près de Vienne) le 14 juillet 1862 dans une famille
D‘artistes: un père orfèvre, une mère chanteuse lyrique, un frère,
Ernst, qui travaillera avec lui jusqu‘à sa mort prématurée, un autre
frère, Georg, sculpteur et encadreur, qui réalisera entre autres de
nombreux cadres pour ses toiles. Gustav, dont le talent est très vite
remarqué, est inscrit, à 14 ans, à la Kunstgewerbeschule de Vienne
(Ecole des Arts Décoratifs). F. Laufberger et J.V. Berger, ses maîtres,
lui apprendront toutes les techniques artistiques dont celle de la
fresque, de la peinture à l’huile mais aussi de l’art de la mosaïque.
Avec deux autres élèves, son frère Ernst et Frantz Matsch, ils
réalisent des oeuvres proches de l’art d’Hans Makart, le grand peintre
viennois pompier de la fin du XIX° siècle. Dès 1883, les trois
étudiants créent un atelier, la “Kunstler Compagnie”, qui connaît un
rapide succès grâce à la finesse de leurs décorations dans un goût très
académique: plafonds, décors de thêatre et d’édifices publics, salles
de réunion du Palais Sturany (Vienne), villa Hermés de Lainz ou encore
les escaliers de Burgtheatrer... En 1887, le conseil municipal de
Vienne demande, à Matsch et à Gustav Klimt, de peindre une vue
intérieure de la Salle de l’ancien théâtre impérial avant sa
destruction; plutôt que de montrer la scène, ce dernier choisit de
représenter toute la bonne société viennoise (environ 150 portraits)
mais vue de la scène. L’achèvement de la décoration de l’escalier du
Kunshistorisches Museum de Vienne consolide sa réputation. L’année
suivante, il parcourt l’Europe, tout particulièrement l’Allemagne et
lÕItalie. De 1891 à 1897, Klimt est membre de la «Kunstlerhaus»,
association d‘artistes viennois fondée en 1861 pour promouvoir l‘art
autrichien. A la mort de son frère Ernst, en 1892, il se dégage peu à
peu de cet académisme étouffant pour s’inspirer de l’art asiatique et
du symbolisme. En mars 1897, il crée avec un groupe d‘artistes
autrichiens, un mouvement appelé «Sécession» dont le but est:
d’offrir aux jeunes peintres non-conformistes la possibilité d‘exposer
leurs œuvres, montrer les artistes étrangers d’avant-garde et publier
une revue (Ver Sacrum) et changer la société par l’Art. Les membres de
la Sécession sillonnèrent l’Europe afin de faire découvrir au public
viennois des artistes comme Rodin, Puvis de Chavannes, Whistler,
Sargent ou Khnopff...La première exposition fut un triomphe: 57 000
visiteurs dont l’Empereur et 218 œuvres vendues sur les 534 exposées.
Quelques réalisations marquèrent aussi les esprits: la décoration, en
1898, de la salle de musique de l’industriel N. Dumba pour qui il peint
«Music II» et «Schubert au piano», puis l’œuvre «Nude Veritas»,
enfin la commande de trois toiles pour l’Université représentant «La
Philosophie», «La Jurisprudence» et «La Médecine» qui provoquèrent
un scandale et des débats jusqu‘au Parlement. En 1902, année capitale
pour le mouvement, il peint une grande fresque, pour la 14ème
exposition de la Sécession, en l‘honneur de Beethoven, dans le
merveilleux Pavillon dessiné par Josef Maria Olbrich. En 1903, la
création par K. Moser et J. Hoffmann d‘une nouvelle association, la
«Wiener Werkstätte», (dont le but était de créer des œuvres
accessibles à tous, remettre en valeur les métiers d’art et
d‘artisanat), fut un facteur essentiel du renouveau des arts appliqués
en Autriche. Klimt quitte la «Sécession» en 1905 et épure son style,
évitant à partir de 1909, l‘utilisation des aplats d‘or.
Considéré comme un artiste majeur, les commandes et les honneurs ne
cessent d‘affluer: en 1908, l‘Etat autrichien achète sa toile
emblématique «Le baiser» puis un paysage en 1912. En 1910, il a
l’honneur d’une exposition individuelle lors de la Biennale de Venise
avec Courbet et Renoir. Dès 1912, Klimt n’est plus considéré comme
assez «moderne» et Schiele et Kokoschka sont désormais chargés de
représenter l‘Autriche lors des expositions internationales. Klimt
décède à Vienne le 6 février 1918.
Les influences de l’art chinois ou japonais qu’il collectionnait,
L’art de l’ancienne Egypte, les enluminures, le symbolisme, le
mouvement anglais Arts & Crafts, ou les motifs gothiques qui le
fascinaient, sont omniprésentes dans son œuvre.
Dans les dessins de nus que nous présentons, rapides et libérés de
toute convention sociale, Klimt parvient à transcrire, par quelques
traits, des femmes lascives, un érotisme troublant, la sensualité à
fleur de peau de ses modèles. Le spectateur devient témoin et même
voyeur de ces femmes alanguies ou impudiques. Il caresse ou effleure de
son crayon les courbes de leurs corps et exalte la fragilité féminine.
L’inexistence d’un arrière-plan, d’une indication de lieu ou d’un
quelconque modelé, accentuent l’intemporalité de ces femmes nues
qu’elles soient vues comme des objets, des tentations ou des
frustrations. Comme dans les estampes japonaises, Klimt accentue
l’érotisme par un «habillage déshabillant», laissant deviner une
poitrine ou un sexe, cachés sous une robe ou un tissu ou les exhibant
pour attirer notre regard.
A l’opposé de l’aspect inquiétant des personnages d’Egon Schiele,
la rage ou l’amour de Pablo Picasso pour ses modèles, Gustav Klimt
sublime le corps féminin, sa beauté et ses mystères.