Fictions vraies de Bernard Faucon
Né en Provence en 1950, Bernard Faucon, après des études de philosophie et de théologie, est l’un des premiers artistes à explorer l’univers de la mise en scène photographique.
Son œuvre, commencée en 1976, est volontairement interrompue en 1995, parce qu’il est convaincu que l’étape de la mise en scène a été le chant du cygne de la photographie, le dernier stade avant le règne de l’image pure, numérique, publicitaire. Un moment où l’on croyait encore suffisamment au pouvoir de vérité de la photographie pour s’offrir le luxe de construire « des fictions vraies ».
Puis, les mots, qui étaient là depuis le début, ont définitivement pris le pas sur les images, avec deux recueils de textes poétiques, «La peur du voyage » et « Été 2550 », jusqu’au work in progress d’aujourd’hui mêlant textes et vidéo.
En 1989 Bernard Faucon a reçu le Grand Prix National de la Photographie en France.
Une rétrospective de son oeuvre a été organisée à la Maison Européenne de la Photographie à Paris du 7 décembre 2005 au 7 mars 2006.
Dans le cadre de l’exposition “Fictions vraies de Bernard Faucon” la galerie Patrick Gutknecht est heureuse de présenter une quarantaine de photographies de Bernard Faucon, datant de 1976 à 1992, dont quelques rares tirages “vintage”.
Au commencement, il y a ces mannequins d'enfants, depuis longtemps retirés des vitrines des magasins de confection, qu'un jeune homme déniche pour les revendre au marché aux puces.
Le jeune homme a bientôt l'idée géniale de leur faire jouer la figuration dans des mises en scène où des enfants vrais leur raviraient souvent le premier rôle. En tout, pendant un long été de quatre années, Bernard Faucon réalisera plus de cent images dans son Lubéron natal. Loin de l'école et des familles, les Grandes vacances laissent un album de photos toutes en couleurs et toutes carrées, où court la même garrigue sous un ciel toujours bleu, où le feu et le vent jouent tout à fait libres. Ces images étranges et magnifiques dans lesquelles les poupées de plâtre prêtent leur sourire moulé et leurs blondeurs de paille aux cérémonies et aux batailles de garçons eux-mêmes figés dans la pose, ont valu au photographe l'accueil enthousiaste de la critique et du public du début des années 1980. […]
Un livre est publié, les expositions se succèdent à Paris, en Europe et aux Etats-Unis. Or, s’il ne boude pas son succès, Bernard Faucon se protège de l’ennui de devoir l’exploiter et met un terme à ces vacances dès 1981. […] La fin des Grandes vacances les sauve du destin commun à tout ce qui connaît le succès, la répétition et le tarissement. Les suit une énigmatique Evolution probable du temps qui voit la cour de récréation peu à peu désertée de ses mannequins joueurs, le décor s’embraser de signes, des pieces s’ouvrir qui deviendront bientôt des chambres, Chambres d’amour, Chambres d’or, temples ou abris encore habités d’une enfance qui s’éloigne, bientôt confisquée à jamais. L’assomption solaire des Idoles aveuglées d’un éclair d’or auquel fait écho le ton écarlate de paysages devenus autels, célèbre en douze diptyques un mystère exploré depuis les tableaux festifs des mannequins. Dix ans après avoir rangé leurs accessoires, Bernard Faucon pose en des lieux désormais déserts les lettres brillantes de ses Ecritures, correspondance intime avec le bonheur ou la mort […]
Hervé Le Goff
Si aujourd’hui, Bernard Faucon apparait comme l’un des auteurs les plus originaux et des plus authentiques de la photographie européenne […] c’est aussi que sa pratique des images, teintées de religieux, se fonde sur des problématiques réellement universelles. Ses icônes, ses scènes emblématiques, ses contes à la sagesse inquiète, sont l’évidence de sa relation au temps et à l’enfance. Car de l’enfance qui le préoccupe, il n’a conservé, finalement, aucune nostalgie, simplement une angoisse inébranlables face à ce qui est tellement fugitif, inexorablement voué à passer. […] S’il nous ébranle autant par des visions savamment intériorisées et intellectuelles dans leur propos, c’est parce qu’elles lui ressemblent. Faites de silences et de jeux, de réflexions et de tendresses, de gravités et d’emportements, elles naissent entre mille goûters, des courses folles dans la campagne, des soirées et des jeux sur le plateau, des lectures et des amitiés. Elles naissent gravement, en proie aux vertiges du temps, au rythme d’une vie qui refuse les contraintes et les facilités. Elles viennent de l’évidence d’un quotidien depuis longtemps gonflé́ de doutes généreux et de contradictions insolubles [...]
Christian Caujolle
L’œuvre photographie de Bernard Faucon est un long poème qui nous emporte au sein d’une expérience esthétique et philosophique d’une rare intensité. Bernard Faucon explore l’insoutenable légerté de la beauté, célèbre le réel par la fabrication de « fictions vraies » et interroge inlassablement le temps qui passe.
Myriam Kryger
Il se passe toujours quelque chose dans les photographies de Bernard Faucon. Il s’y passe d’autant plus de choses que les photographies […] se passeraient même un peu de nous […]. C’est un peu comme si ces images ne nous avaient pas attendu pour commencer et qu’on arrivait en retard, sans ménagement : on doit s’en accommoder. La première série des Grandes vacances (1976) montre des mannequins d’enfants plongés dans les décors puissants du Lubéron, s’adonnant à tout un ensemble de rituels festifs et obscurs. Les images sont faussement simples, et ne semblent douces qu’à la première vue qui unifie tout l’ensemble : lorsqu’on se rapproche, les scènes se décomposent, se disloquent […]. Faucon réalise ici ses premières mises en scène photographiques, et dans ces « natures-mortes-vivantes » le geste de disposition est déjà moins purement spatial que temporel : il vise moins une fin symbolique où percerait du sens qu’une faim chronophage, dévoratrice de temporalités. […]
Graduellement, l’apparition de vrais garçons au milieu des mannequins les achèveront, leur seule présence suffisant d’emblée à ramasser le sujet de l’image, comme aimanté au vrai corps.
La série suivante Évolution probable du temps (1981), visera à atténuer quelque peu ce pouvoir d’inscription trop prégnant, en le noyant dans des paysages, en le morcelant ou n’en gardant que les ombres […]. Les chambres d’amour (1984) parachèveront ce désir d’explorer la valeur d’évocation du lieu pour lui-même, lorsque la présence est devenue si évidente qu’il n’y a plus besoin de la montrer pour la convoquer. Pures scènes encadrées, les photographies de Faucon ont toujours été closes sur elles-mêmes, n’admettant aucun dehors, aucun hors-champs. […]. Les Chambres d’or (1987) iront plus loin dans ce sens, la couleur de l’or insaisissable devient suffisante pour exprimer la présence […]. À ce point limite, Les Idoles et les sacrifices (1989), ne peuvent que divorcer en deux lieux irréconciliables, ayant chacun leur destin propre. Un paysage noyé par l’obscurité de la couleur rouge, un corps devenu support de la lumière : l’or s’est divisé, tel un matériau radioactif, en ses composantes (couleur et brillance). […] Le moment, la durée d’un affect (souvenir, amour, saisissement) est le véritable sujet de la photo, qui se fait le témoin de sa matérialisation concrète. Plutôt que de jouer sur la représentation, le figuratif, le vrai et le faux, Bernard Faucon s’est résolu, via le médium photographique, à construire à la main de vrais moments imaginaires, pour faire la fête (c’est-à-dire aussi la chasse) au temps.
Pierre Eugène, “Bernard Faucon ou La persistence du mouvant”, in Prussian Blue, mars 2014.
Il y a pour moi une relation naturelle entre la photographie, l’image et la beauté. On photographie ce qui est beau pour l’éterniser, l’exposer à la face du monde. Si on photographie la laideur, la vulgarité, la cruauté, c’est pour les dénoncer, tenter de changer le monde, sinon c’est une imposture autant éthique qu’artistique.
Bernard Faucon
Bernard Faucon ferme la boucle en 1995, à l'âge où d'autres cherchent encore leur maturité. Mettre un terme à l'œuvre, soustraire au moins cela à la mort, le geste a de l'allure et bien sûr étonne le monde de l'art qui se souvient de près de deux cents expositions personnelles en moins de vingt ans.
Hervé Le Goff